
Armes,modélisation et US Army


Il est peu dire que la représentation des armes à feu a beaucoup évolué des sprites pixelisés des années 1980 aux modèles hyper-réalistes des dernières années. Retraçons le parcours de cette folle modélisation et voyons si nous pouvons en tirer la moindre leçon parce qu'il semblerait bien que l'armée américaine, elle, a su quoi faire de ce phénomène...
Années 1980: Disco, Reagan et salles d'arcade
Les limitations graphiques des jeux d’arcade et autres portages sur consoles (Atari VCS, NES) obligent alors à des représentations simplistes. Le canon laser 2D de Space Invaders n’est rien d’autre qu’un sprite monochrome de quelques pixels qui se contente de tirer des projectiles rectangulaires sans grand panache quand Missile Command doit se résoudre à symboliser les missiles lancés par de sobres lignes vectorielles.
Pourtant nombreux sont les titres à utiliser le tir comme mécanique centrale de leur gameplay alors même que les armes en question se réduisent à n'être qu'un sprite de 8 pixels sur 8 pixels ne dépassant pas les 16 couleurs (palette NES).
Dans Space Invaders, le canon laser, statique et sans animation de rechargement, dispose d'un son de tir généré par synthétiseur FM (bip aigu). Mais rien de tout ceci n'empêche le titre de devenir un véritable must-have des salles d'arcade.
Puis vint l'innovation! Duck Hunt ose et propose le "light gun". Ce périphérique en plastique ressemble plus ou moins à un revolver même s'il est encore dépourvu de feedback haptique. Les sons, dont le fameux "clic", sont encore minimalistes puisqu'ils dépendent de puces sonores ne pouvant dépasser les 8 bits.
Il faudra attendre la fin de la décennie avec un titre comme Contra pour voir apparaitre des animations un peu plus sophistiquées (projectiles étoilés et bruitage davantage crédible).
Années 1990: FPS, Bush père et la controverse Columbine
La démocratisation du PC et l’arrivée des consoles 3D (Nintendo 64, PlayStation) révolutionnent la pratique vidéo-ludique et marquent notamment l’essor des FPS.
Si en 1993, Doom propose déjà un arsenal varié (shotgun, BFG9000, lance-roquettes), il faut toutefois attendre GoldenEye 007 sorti en 1997 pour voir l’apparition d’armes licenciées (Walther PPK, AK-47) ainsi que l’introduction du fameux "headshot".
Les guns de Doom ne sont encore que des sprites 2D fortement pixélisés (256x256 pixels) et limités à 8 ou 12 frames quand GoldenEye 007 bascule déjà vers des modèles 3D low-poly (environ 200 polygones) capables -en plus- de proposer des animations spécifiques lors des phases de recharge. Les sons sont captés d'après les ajoutent une bouffée de réalisme (qui ne se souvient du fameux cliquetis du Walther PPK ?). Quant à Quake, le titre innove en modélisant l’effet de recul qui survient après chaque tir et en se focalisant sur la retranscription des effets lumineux.
Toutes ces avancées rendent la modélisation des armes plus crédible même si l’ensemble reste encore limité par les 16 Mo de RAM des consoles.
Ceci dit, tout est en place pour alimenter les controverses quand la tuerie de Columbine survint en 1999. Survenue le 20 avril 1999 au lycée de Littleton (Colorado) la tuerie ôta la vie à 13 personnes et en blessa 24 autres. Eric Harris et Dylan Klebold, les deux tireurs, étaient connus pour être des joueurs assidus de Doom et certains médias n'ont pas hésité un seul instant à pointer ce titre comme ayant pu être une cause potentielle de leur comportement.
Années 2000: CALL of Duty,Bush fils et patriotisme militaire
Le réalisme des jeux ne cesse de se perfectionner grâce aux moteurs 3D (Source Engine, Unreal Engine...). Ainsi Call of Duty 4: Modern Warfare parvient à reproduire avec fidélité des fusils aussi emblématiques que le M16 et l’AK-47 quand Halo 3 mise sur le futurisme avec son Assault Rifle.
La modélisation atteint un nouveau palier avec les modèles 3D high-poly (de 2 000 à 5 000 polygones par arme) et des animations de tirs se faisant de plus en plus fluides et réalistes. Les sons, désormais enregistrés sur champs de tir, parviennent à reproduire le cliquetis des chargeurs. Quant au recul subi après chaque détonation, il est maintenant simulé via des algorithmes et le joueur doit désormais prendre cette donnée en compte quand il ajuste sa visée.
La modélisation d'armes licenciées, comme le Barrett M82 de Call of Duty, fait augmenter la vente de répliques airsoft de près de 20 % ! L’arme ne saurait se réduire à une simple représentation virtuelle surtout dans un contexte où celles-ci en viennent à symboliser le patriotisme post-11 septembre !
Et l'armée dans tout ça ?
De nos jours l’IA et la VR révolutionnent un peu plus la modélisation (même s'il est vrai que la VR peine toujours à s'imposer parmi le grand public). Ainsi Call of Duty utilise des modèles ultra détaillés de 30 000 polygones avec textures 8K, animations de rechargement allant de 60 à 80 frames et sons Dolby Atmos. La VR d' Half-Life: Alyx demande même au joueur d'effectuer le geste d'un rechargement manuel quand le casque plonge le gamer dans l'ambiance sonore de la guerre.
Preuve supplémentaire que le look des armes importe aux joueurs, les microtransactions de Valorant proposent des skins d’armes personnalisés coûtant jusqu’à 100 dollars.
Si les méta-analyse nient un lien direct avec les fusillades, l’Université du Michigan note tout de même un risque de désensibilisation à la violence par armes à feu. Il est par ailleurs indéniable que cette sur-modélisation des armes renforce une sorte de "military-entertainment complex". Il suffit de se rappeler que les jeux vidéo servent aussi d'outil de recrutement pour l’armée américaine.
Lancé en 2002, le FPS gratuit America’s Army, simule le déroulé de missions militaires. Le titre, développé par l’armée elle-même, ne se contente pas de divertir, il sert de vitrine pour promouvoir les valeurs et les opportunités offertes par une carrière militaire. L'objectif est simple, attirer les jeunes joueurs et leur donner l'envie de passer l'uniforme. Arrêtée en 2022, la licence a attiré plus de 20 millions de gamers et a cumulé 260 millions d'heures de jeu ! Et selon une étude du MIT, 28 % des joueurs cliquaient vers des formulaires d'enrôlement.
Et comme si un simple jeu ne suffisait pas, l’armée de l'oncle Sam a élargi sa présence dans l’écosystème vidéoludique en s’engageant dans l’e-sport. En 2018, elle créé une équipe officielle d’e-sport autour de jeux aussi populaires que Call of Duty ou... League of Legends ! Ces soldats-joueurs incarnant une sorte de pont aussi idéal que trompeur entre le monde virtuel et la réalité militaire.
Autre "scandale" ou développement logique (tout dépend de quel côté l'on se place), l'US Army utilise depuis longtemps des manettes de Xbox pour contrôler certains de ses équipements militaires. Elles servent au pilotage des robots de déminage (comme le PackBot), des drones, des véhicules sans pilote, des systèmes laser et même des périscopes embarqués dans les sous-marins comme l'USS Colorado !
Leur adoption s'explique par leur ergonomie indiscutée, leur coût abordable (une cinquantaine de dollars contre 38 000 dollars pour un ancien système servant à manœuvrer un périscope!) et la familiarité des jeunes soldats avec cette interface tout droit sortie de leur salon. L'emploi de manettes estampillées Xbox réduit ainsi considérablement le temps de formation.
Ceci dit, quelques militaires sont vent debout contre leur usage arguant que la frontière entre réalité et fiction a tendance à s'estomper et que donner la mort en appuyant sur le bouton d'une interface normalement dédiée au jeu pourrait accentuer les effets de syndromes post-traumatiques. Mais de ceci, l'armée n'en a cure.
