
Western and game
Le western, matrice du mythe américain, structure depuis plus d’un siècle notre imaginaire avec ses frontières sans cesse repoussées et ses protagonistes souvent mutilés, écartelés entre désir d'évasion et volonté d'ancrage territorial. Le genre expérimente depuis près d'un siècle un dialogue toujours renouvelé entre l'ordre et le chaos, la civilisation et la sauvagerie, la virilité et la rédemption.
Comment le jeu vidéo parvient-il à transcender les codes du far west ?
Le grand ouest narre la lente instauration d'un monde "civilisé" étayé sur l'établissement de lois dans ce qui n'était auparavant qu'étendues sauvages (du moins dans l'esprit des pionniers). Mais désormais, avec le jeu vidéo, le mythe se pratique plutôt qu’il ne se regarde. La frontière, le cheval, le feu, le duel, la poussière -tous ces signes- jadis cinématographiques, deviennent manipulables, expérimentaux, vécus.
De Outlaws à Red Dead Redemption, du nanardesque Mad Dog McCree aux expériences tactiques de Desperados III, le western vidéoludique s’est diversifié, explorant aussi bien le réalisme (Red Dead), la stylisation pulp (Call of Juarez), le mysticisme noir (Weird West) que la parodie absurde (West of Loathing). Tous partagent pourtant une grammaire commune axée autour du seuil, du jugement et de la rédemption.
Le cowboy comme figure centrale
Le cowboy demeure irremplaçable. Qu’il s’agisse de John Marston dans Red Dead Redemption, de son fils Arthur Morgan dans Red Dead Redemption 2, de Colton White dans Gun ou encore de Silas Greaves dans Call of Juarez: Gunslinger, tous incarnent le même archétype du héros solitaire en prise avec la corruption d’un monde qui se hausse autant qu’il s’abaisse. Tous retournent les mêmes cartes et le revolver devient l'extension du destin. Les mécaniques de jeu– chevauchée, duel, chasse – réactivent une liturgie de la virilité, tant il est vrai que la masculinité occidentale se définissait surtout par la gestion de sa propre violence.
Quant aux figures féminines, elles oscillent entre la tentative d'émancipation et la glu des clichés. Bonnie MacFarlane de Red Dead Redemption ou Claire dans Gun reprennent sagement la figure de la pionnière, garante de la civilisation, tandis que les serveuses de The Last Bounty Hunter ou de Mad Dog McCree ne sont rien de plus que des archétypes décoratifs comme a pu le proposer le cinéma des années 1950.
Toutefois Red Dead Redemption 2 introduit une bénéfique fracture avec le personnage de Sadie Adler, veuve devenue chasseuse de primes, qui a franchi la frontière qui sépare le foyer du désert. En écho d’ailleurs à la “femme-sorcière” qu’est Isabelle dans Desperados III, ses pouvoirs l'isolant d'une certaine façon de la communauté. Si ces trajectoires féminines ne suppriment pas les hiérarchies, elles les reconfigurent du moins en partie...
Le western vidéoludique raconte moins une histoire singulière qu’une variation autour des archétypes. Dans Red Dead Redemption 2, la jauges honorifique fonctionne comme une boussole morale qui rejouerait à chaque fois la tension entre la tentation de la faute et la profonde envie de rédemption.
Dans Call of Juarez: Gunslinger, la narration non linéaire joue quant à elle avec la plasticité du mythe : l’histoire, changeante selon la mémoire du conteur, rappelle que l'Ouest est avant tout terres de rumeurs. Quant à l'esthétique gothique du très étonnant Hard West, il transforme la frontière physique en purgatoire.
Toutes ces hybridations montrent que, loin de se figer, le western parvient à s’enrichir de nouvelles dimensions.
Mais l’interactivité ne sert pas seulement la narration, elle en est la substantifique moelle.. Ainsi Red Dead Redemption 2 parvient à ritualiser le quotidien – panser son cheval, nettoyer son arme – quitte à provoquer l'ire de certains joueurs pressés. Le jeu qui est un “monde semi-réel” tente de tenir en équilibre les mécaniques de gameplay d'un côté et le souci de dérouler une narration de l'autre.
Intérieur, extérieur
Le désert est purgatoire, la montagne est ascension, la ville est tentation. Voici pour les évidences!
A moins que le décor de Call of Juarez: Bound in Blood ne symbolise autre chose. Peut-être l'agonie fraternelle : les deux frangins traversant un paysage qui se délite en même temps que leur lien se dissout. Quant au décidément très étrange Hard West ,il déplace son décor vers l’au-delà : entre cimetières et plaines infernales. L'environnement hostile devient alors la matérialisation de cette “frontière intérieure” propre à tout homme osant mesurer la part sombre qui s'étend en lui à chaque conquête.
Les villes modélisées, Saint Denis ou Blackwater, incarnent souvent une modernité corruptrice. Dans Helldorado, elle se mue en sourds labyrinthes mais toutes dissimulent dans les recoins de leurs ruelles une violence pas encore assagie.
La topographie du western distingue (encore et toujours) les espaces clos des espaces ouverts. Les intérieurs (saloons, maisons, églises) sont des lieux dédiés à la parole (qu'elle soit quotidienne ou sacrée) quand l'extérieur (prairies, montagnes, déserts) se voue en priorité à l’action. Dans Red Dead Redemption 2, Sadie Adler a su passer du fermé à l'infini, en quittant son foyer pour les vastes espaces.
50 nuances de western
Dans Red Dead Redemption 2, chaque décision prise par le joueur affecte le monde mais modifie surtout la perception que le gamer a de lui-même. La morale s'incarne dans la conséquences de nos actions. Tuer un passant lambda n'est peut-être pas une si bonne idée que cela ! Du moins ceci risque fort d'avoir un prix.
Alors certes des jeux aussi anciens et bourrins que Mad Dog McCree ou The Last Bounty Hunter ne poussent pas la réflexion au delà du simple réflexe : tuer avant d’être tué mais, à l’inverse, Desperados III ou Weird West poussent à la stratégie et nous imposent un questionnement moral. A nous de domestiquer le chaos par nos actes.
Cette diversité confirme la pleine vitalité du symbole. Le western ne meurt pas - jamais- il se métamorphose. Le mythe survit à son contenu parce qu’il contient sa propre grammaire. Le Far West, en devenant interactif, n’a rien perdu de son essence : il s'est simplement trouvé une nouvelle frontière.


